Les réseaux sociaux sont au centre de nombreuses controverses touchant aux métiers du livres. Cependant, cet outil de communication majeur peut s’avérer vital pour de nombreuses librairies indépendantes, comme la librairie Majo.
Une librairie spécialisée et récente
La librairie Majo est une librairie féministe et Queer située dans le Ve arrondissement de Paris, qui a officiellement ouvert ses portes le 18 octobre 2022. La librairie est gérée par deux libraires, Margot et Juliette. C’est Juliette qui a pris le temps de répondre à mes questions, notamment sur l’utilisation du numérique dans son travail et son importance.
La place prépondérante des réseaux sociaux dans le quotidien de la librairie
Juliette m’a d’abord expliqué que les réseaux sociaux tenaient une part très importante dans la vie de leur librairie, avant même le lancement. En effet, la création des comptes sur les réseaux sociaux date d’avant l’ouverture officielle. Les libraires avaient besoin de faire venir une clientèle pour l’événement.
Juliette et Margot pensaient que cela s’imposait également en raison de la localisation de la librairie. Elle n’est pas très visible au public. Juliette estime que plus de la moitié de leur clientèle les as connues via les réseaux sociaux, ce qui démontre l’importance de cette activité dans leur temps de travail.
“[Les réseaux sociaux] c’est ce qui fait qu’on a pu décoller et qu’on se maintient”.
Instagram et Tiktok, leurs réseaux de prédilection
L’entièreté de leur communication est faite sur les réseaux sociaux. Les deux libraires sont présentes sur Instagram, car elles suivaient déjà d’autres librairies et ont estimé que cela serait pertinent pour la leur. Elles sont également sur Facebook pour la forme, mais ne l’alimentent pas trop. Elles sont par-contre sont très actives sur Tiktok, même si elles le sont moins qu’auparavant. En effet, elles postaient plusieurs vidéos courtes par semaine, mais ont désormais réduit le rythme de publication. Cela leur prenait beaucoup de temps, et il faut être particulièrement vif pour réussir à s’emparer des trends en cours.
X, un réseau social écarté de la communication de la librairie
Margot et Juliette n’ont jamais publié sur X, car à titre personnel, elles ne l’utilisent pas. Aujourd’hui, elles sont confortées dans leur choix par les choix idéologiques exprimés publiquement par son détenteur.

Le public qu’elles visent via les réseaux sociaux est un public assez jeune, mais qui correspond à la majorité de leur clientèle (-35 ans en majorité).
Les réseaux sociaux ont éloigné le risque de fermeture
“à moyen terme, cela nous a permis de nous maintenir, mais nous restons prudentes”.
En Août 2024, des difficultés financières auraient pu entraîner la fermeture de la librairie. Elles ont lancé un appel à soutien sur les réseaux sociaux. Suite à cet appel, les libraires ont constaté, de septembre à décembre, des mois exceptionnels en termes de chiffre d’affaires, ce qui leur a permis d’éviter la fermeture. Est arrivée aussi une nouvelle clientèle, grâce aux nombreux partages sur les réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux, de libraire à libraire
“Si il y a des librairies qui font de super recommandations, on est influencées, comme n’importe qui”.
Les réseaux sociaux influent également leurs achats pour les acquisitions au sein de la librairie. Les recommandations d’autres librairies sur des titres qu’elles n’auraient pas vu passer auparavant, où qui n’auraient pas bénéficié de (grande) campagne médiatique.
Les livres numériques sont encore une demande minoritaire
Dans le quotidien de la librairie, les liseuses n’ont pas d’impact, actuellement, sur les ventes de celle-ci. Il est rare que des clients préfèrent acheter les livres en numérique, ou en tous cas qu’ils en parlent devant les libraires. D’ailleurs, il est désormais possible d’acquérir des livres numériques via le site “place des libraires” ou “Paris librairies”, ce qui permet de soutenir des librairies indépendantes même pour les achats en numérique.
Futur et évolutions technologiques
Juliette espère que l’influence d’Amazon et de la Fnac ne grandira pas trop. Les lecteurs se rendront-ils compte que ces géants détruisent les librairies indépendantes ? Elle espère aussi que le public connaîtra mieux la Loi Lang, et le prix unique du livre, que peu d’entre eux connaissent.
Et l’IA, dans tout ça ?
Du côté de l’IA, Juliette espère que des lois en limiteront l’impact, et surtout que son utilisation n’augmentera pas pour de mauvaises raisons. Pour l’instant cependant, l’IA ne menace pas directement le métier de libraire comme elle menace d’autres maillons de la chaîne du livre (auteur.ice.s, illustrateur.ice.s etc). Les librairies vont plutôt être indirectement impactées, notamment par l’utilisation de textes et d’images créés par des intelligence artificielles.
À la rencontre de la libraire

Juliette (à droite sur la photo) est co-gérante de la librairie Majo avec sa collègue Margot. N’étant que deux, elles font donc tout ensemble. C’est-à-dire les commandes de livres, la réception des colis de réassort et de nouveautés, l’accueil des clients, l’organisation d’événements au sein de la librairie, l’encaissement ou encore les réponses aux mails. Juliette s’occupe cependant seule des réseaux sociaux tandis que sa collègue s’occupe de la comptabilité. Cela fait deux ans que Juliette est libraire, et elle n’a pas suivi de formation en lien avec le livre.
La création de la librairie est issue d’une volonté de changer d’horizon, car leur métier d’origine ne leur plaisait pas beaucoup et que le livre était la passion partagée entre Juliette et de sa collègue Margot.
Elles ont choisi de faire une librairie à Paris parce qu’elles y habitent toutes les deux. Pour le choix d’une librairie féministe et queer, cela résulte d’une volonté de proposer des livres qu’on ne trouve pas dans toutes les librairies, mais aussi de l’envie de donner de la visibilité aux femmes et aux minorités et enfin de participer à une activité militante à leur échelle. Leur sélection de livres suit donc cette logique.

Elles ont récemment ouvert un espace de coworking dans le sous-sol de la librairie, un espace calme avec des tables, des chaises et une bonne connexion wifi qui permet de se concentrer sur le travail. Elles proposent des forfaits à l’heure, à la journée et à l’année.

Héloïse VIDAL-CHATEAUREYNAUD – Numériquement livre