
Après la première guerre mondiale, la première bibliothèque pour enfants voit le jour en France. La version française des bibliothèques américaines, visionnaires et innovantes, met l’enfant au centre des préoccupations.
Une exposition de la médiathèque Françoise-Sagan retrace la naissance de ces infrastructures, avec comme figures phares les bibliothécaires qui luttaient corps et âme pour une littérature jeunesse de qualité.
La pionnière des bibliothèques jeunesse
S’attarder sur les prémices de la littérature jeunesse, c’est se pencher sur la question de l’accès de cette littérature au public cible. Produire des livres destinés aux enfants ne suffit pas. Il est essentiel de garantir aux enfants un lieu clé pour baigner dans cette littérature qui leur est destinée.
Si désormais toutes les bibliothèques possèdent un rayon jeunesse, cela n’a pas toujours été le cas. L’Heure Joyeuse, première bibliothèque en France réservée aux enfants, a vu le jour en 1924. D’où vient cette bibliothèque, comment a-t-elle vu le jour ?
Grâce à l’exposition proposée par la médiathèque Françoise-Sagan, vous pourrez par vous-même le découvrir. Au cœur du 10e arrondissement, à quelques mètres seulement de la gare de l’Est, elle est invisible au yeux de tous. Cette belle médiathèque est riche d’un double patrimoine. Celui des murs, mais aussi celui du fonds, puisqu’elle abrite, depuis 2014, celui de l’Heure Joyeuse.
« À quoi bon lire ?«

Cette citation sert de titre à l’exposition. Elle est tirée du discours d’inauguration d’Eugène Morel, défenseur, entre les deux guerres, de la modernisation des bibliothèques. Mais si L’Heure Joyeuse a pu voir le jour, c’est grâce à un des nombreux comités américains qui s’engagent en 1918 dans la reconstruction de la France et de l’Europe, comme le Comité américain pour les régions dévastées.
Le vent de la nouveauté venu d’Amérique
Le Book Committee on Children’s Libraries est présidé par Caroline Griffiths, femme de diplomate. Il se propose d’œuvrer pour la paix à travers l’éducation. Grâce à eux, cinq bibliothèques avec un coin pour enfants voient le jour.
Puis Ernest Coyecque, inspecteur des bibliothèques de Paris, obtient une aide pour créer en 1922 une bibliothèque “moderne avec une section jeunesse”.
Enfin, le comité offre à Paris une bibliothèque de prêt exclusivement consacrée à la jeunesse. Une bibliothèque gratuite et inspirée du modèle d’outre-atlantique. Les américains la financent entièrement. Ce sera décisif pour surmonter l’obstacle du conservatisme qui règne alors dans le milieu des bibliothèques !
La modernité s’introduit dans le monde fermé des bibliothèques

C’est difficile à imaginer aujourd’hui, mais le libre accès aux livres n’existait pas dans les bibliothèques publiques, même pour les adultes ! Le changement viendra justement grâce aux bibliothèques jeunesse. Elles adoptent le modèle américain du libre accès aux documents. La classification Dewey des documentaires, ou encore l’Heure du Conte, font aussi partie des nouveautés.
Dès 1923, les bibliothécaires se transforment en conteuses et racontent des histoires en plein air, avant l’ouverture de la bibliothèque. Par la suite, les bibliothécaires seront formées pour accueillir ce public spécialisé.
Favoriser la mixité et la diversité
L’Heure Joyeuse a d’abord élu domicile dans le 5e arrondissement de la capitale et ouvrira pour la première fois ses portes le 12 novembre 1924. Eugène Morel, qui militait déjà depuis 1910 pour s’inscrire dans la démarche américaine, recevra enfin l’assentiment de la ville de Paris. Le mobilier a été fabriqué sur le continent américain, à taille enfantine, avant d’être importé en France.

Cette bibliothèque prend le parti de favoriser la mixités. À une époque où on sépare les garçons et les filles, elle choisit d’accueillir les garçons et les filles dans un même espace. Le quartier permet de favoriser également la mixité sociale.
Les Français ajoutent leur touche personnelle, avec la participation des enfants. Ceux-ci sont autonomes et participent grandement à la vie de la bibliothèque. Ils élisent des représentants, critiquent les livres, produisent un journal des lecteurs… Les jeunes lecteurs participent à des activités comme du théâtre, proposent des expositions et discutent de ce qui pourrait être amélioré.
Zoom sur le fonds patrimonial de l’Heure Joyeuse
Les bibliothécaires désirent proposer le meilleur de littérature jeunesse. Elles effectuent leur choix avec grand soin, selon des critères précis. Elles lisent les livres et réalisent des fiches de lecture.
Au cœur de cette exposition, on peut admirer de nombreux exemples d’incontournables de la littérature jeunesse du XXe siècle. Ils témoignent de l’exigence qualitative des bibliothécaires. L’exposition proposée en ces lieux permet donc de retracer le parcours haut en couleurs du fonds de l’Heure Joyeuse. Il rend compte également d’une véritable évolution éditoriale.
L’Heure Joyeuse participe au jury du premier Prix jeunesse, créé par Michel Bourrelier en 1934. L’Heure Joyeuse devient un lieu de créativité, fréquenté par les artistes pour s’informer sur ce qui se fait, ou de ce qui plait aux enfants.

Lors des 50 ans de la bibliothèque, en 1974, l’Heure Joyeuse déménage 6, rue des Prêtres-Saint-Séverin (toujours dans le 5e), à proximité de son emplacement d’origine.
Elle s’est refaite une beauté en 2018, suite à des travaux de rénovation. Malheureusement, suite à la montée de la Seine, le fonds a dû être déplacé à la bibliothèque Françoise-Sagan pour des questions de conservation.
Le monde numérique
Comme beaucoup d’expositions, celle-ci n’échappe pas à l’appel de l’interactivité et de la digitalisation. Après l’exposition emblématique des lumières entièrement numérique, ou encore l’exposition proposée par l’Union européenne, l’Heure Joyeuse s’approprie également ces codes, avec un parcours ludique guidé de QR codes, des éléments audios et vidéos.

Gabrielle Derot – Numériquement Livre